Pour déconfiner plus vite, il faut d’abord reconfiner
Plaidoyer pour la seule décision responsable qui soit
En tout début d’année, c’était le grand débat dans la presse, à la télévision et sur les réseaux sociaux : faut-il vraiment gâcher la vie du plus grand nombre pour sauver celle de quelques-uns ?
Avec mon camarade Jérôme Levy, nous nous étions fendus d’une tribune, publiée par L’Opinion, pour répondre “oui !”. Plus précisément, notre réponse était 1) que le COVID-19 était loin de ne frapper que les plus vieux et les plus faibles, et 2) qu’en tout état de cause, ce que nos contradicteurs appelaient “gâcher une vie”, nous l’appelions solidarité.
Il faut croire que d’autres, plus influents que nous, partageaient notre point de vue, puisque le Président a rapidement fait savoir qu’il était hors de question de se résoudre à abandonner les plus faibles à leur sort. Et pourtant.
Avance rapide deux mois plus tard.
Les rues de Paris sont noires de monde entre midi et deux et le weekend ; les écoles ne sont toujours pas fermées alors qu’elles sont devenues un réseau national de super-clusters ; le télétravail reste une question de préférence personnelle pour la grande majorité des Français. Sous l’effet de la circulation massive du variant anglais dans le système scolaire, l’âge des personnes admises en réanimation a largement baissé. Les vies à sauver ressemblent de plus en plus aux vies gâchées.
Entre 250 et 350 personnes, peut-être plus, meurent chaque jour du coronavirus en France. Le taux d’incidence, en Île-de-France mais aussi dans d’autres régions, a retrouvé des niveaux dignes de la première vague. Les hôpitaux sont au bord de la rupture. Les experts — c’est-à-dire les médecins hospitaliers — expliquent que d’ici à quelques semaines, voire quelques jours, on devra de nouveau faire le tri entre les patients à sauver. Il supplient le Président, qui décide paraît-t-il seul, d’ouvrir les yeux.
La réponse du gouvernement ? Tout juste a-t-on annoncé, à deux semaines d’intervalle, la fermeture des enseignes figurant sur une liste de commerces “non-essentiels”, dont les corporations les mieux connectées ont réussi à s’extraire. Avec, cerise sur le gâteau, le passage du couvre-feu à 19 heures “pour coller à l’heure d’été”. (Je passe par charité sur l’épisode surréaliste de l’attestation de Schrödinger.)
De deux choses l’une. Soit on a décidé au sommet de l’État, malgré les beaux discours, qu’effectivement on ne peut pas se permettre de gâcher des vies pour en sauver d’autres, et alors il faut l’assumer et de le dire. Soit il faut avoir le courage de prendre la seule décision rationnelle pour éviter l’équivalent d’un crash aérien par jour : le reconfinement.
Il n’y aurait aucune honte, aucun constat d’échec à décider d’un reconfinement national d’une ampleur similaire à celui du printemps 2020. Israël, champion incontesté en la matière, a démarré sa campagne de vaccination massive par un confinement rigoureux. Le résultat est là.
Puisque le ministre de la santé vient de se fixer l’objectif ambitieux de vacciner 400 000 personnes par jour, nous devrions faire exactement la même chose.
Il est temps.
Photo de Jérôme Godefroy, place de la République, jeudi 25 mars à 20 heures